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raréfaction
Exposé sur les montagnes du coeur. Vois, tout petit, là-bas,
vois : le dernier hameau de paroles, et plus haut,
mais si petite aussi, une dernière bergerie
de sentiment. Discernes-tu ?
Exposé sur les montagnes du coeur. Pierraille
sous les mains. Sans doute pousse ici
encore quelque fleur ; sur le gouffre muet
fleurit une herbe qui ne sait, chantant.
Mais pour qui sait ? ah, qui commençait à savoir
et se tait à présent, exposé sur les montagnes du coeur.
Sans doute passent ici, la conscience sauve,
bien des bêtes, de sûres bêtes de montagne
qui changent, qui s'attardent. Et le grand oiseau abrité
tournoie autour du pur refus des cimes. Mais
ici, sans abri sur les montagnes du coeur...
Auteur:
Rilke Rainer Maria
Années: 1875 - 1926
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: poète
Continent – Pays: Europe - Allemagne
Info:
in "Poémes épars (1907-1926), éd. Seuil, p.87 - trad. Ph. Jaccottet
[
hauteurs
]
[
poéme
]
[
répétition
]
[
solitude
]
art pictural
Joanna Ashbury, ça sonne comme John Ashbery, et son long poème "autoportrait dans un miroir convexe" que je m'étaits promis de lire, rappelle-toi. Ashbery parle d'un tableau du cinquecento, une oeuvre de Parmigianino, j'ai aimé ce poème et j'ai voulu connaitre l'histoire du tableau.
Un jour, le peintre - il est tout jeune, il a 21 ans, se voit dans un de ces miroirs de coiffeur convexe, et il veut faire son autoportrait. Il fait fabriquer au tour une coupe de sphère de bois, de la taille du miroir, afin de le reproduire exactement dans sa forme. En bas, au premier plan, il peint sa main, très grande, si belle qu'elle parait vraie, et au centre, à peine déformé, sa figure d'ange, gracieux, c'est presque un enfant. Le monde tournoie autour de ce visage, tout s'y déforme, plafond, lumière, perspective : c'est un chaos de courbes.
Auteur:
Le Tellier Hervé
Années: 1957 - 20??
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain, président de l'oulipo
Continent – Pays: Europe - France
Info:
L'Anomalie, p 309
[
portrait
]
[
référence littéraire
]
poterie
Siècles durant leur place est là, dès le début premier,
grotesques et bêtes, goitreux silencieux.
Des potiers, aptes à mouiller la glaise et la brûler.
Tels des dragons retardés et cléments
figures oblongues comme des cornemuses
mecs archaïques, qui portent si heureux
un rêve frêle durant les jours recluses.
La roue tournoie en grésillant en chaque foyer autour.
Les cœurs portent, toujours, les vieux modèles.
Les potiers œuvrent en sommeillant, et s'assoupissent près du four.
Très rarement ils sont hantés
par quelque fée ou des étincelles.
Dans les vallées des récoltes sublimes
il n'y a pas un bled aux âmes plus lentes
ni autre lieu où l'on saurait y cuire
des cruches aussi belles et si câlines,
avec des croupes de filles indignes et saintes.
Auteur:
Blaga Lucian
Années: 1895 - 1961
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: poète et philosophe
Continent – Pays: Europe - Roumanie
Info:
Les potiers, traduit du roumain par Cindrel Lupe
[
céramistes
]
[
poème
]
littoral
La pluie s'annonce à des signes très sûrs : le vent d'ouest, net et frais, les mouettes qui refluent très loin à l'intérieur des terres et se posent comme des balles de coton sur les champs labourés, les hirondelles, l'été, qui rasent les toits des maisons, tournoient, attentives et muettes, dans les jardins, les feuillages qui s'agitent et bruissent au vent, les petites feuilles rondes des trembles affolées, les hommes qui lèvent le nez vers un ciel pommelé, les femmes qui ramassent le linge à brassée (incomparables draps séchés au vent de la mer - cet air homéopathique d'iode et de sel entre les fibres), abandonnant sur le fil les épingles multicolores comme des oiseaux de volière, les enfants qui jouent dans le sable et que les mamans rappellent, les chats à leur toilette qui passent la patte derrière l'oreille, et trois petits coups d'ongle sur le verre bombé du baromètre : l'aiguille qui s'effondre.
Auteur:
Rouaud Jean
Années: 1952 - 20??
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - France
Info:
Les champs d'honneur
[
décor
]
[
mélange
]
autosuffisance
Vivre une vie cultivée et sans passion, au souffle capricieux des idées, en lisant, en rêvant, en songeant à écrire, une vie suffisamment lente pour être toujours au bord de l’ennui, suffisamment réfléchie pour n’y tomber jamais.
Vivre cette vie loin des émotions et des pensées, avec seulement l’idée des émotions, et l’émotion des idées. Stagner au soleil en se teignant d’or, comme un lac obscur bordé de fleurs.
Avoir, dans l’ombre, cette noblesse de l’individualisme qui consiste à ne rien réclamer, jamais, de la vie.
Être, dans le tournoiement des mondes, comme une poussière de fleurs, qu’un vent inconnu soulève dans le jour finissant, et que la torpeur du crépuscule laisse retomber au hasard, indistincte au milieu de formes plus vastes. Être cela de connaissance sûre, sans gaieté ni tristesse, mais reconnaissant au soleil de son éclat, et aux étoiles de leur éloignement.
En dehors de cela, ne rien être, ne rien avoir, ne rien vouloir…
Auteur:
Pessoa Fernando
Années: 1888 - 1935
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Portugal
Info:
Dans "Le livre de l'intranquillité"
[
existence
]
[
contemplation
]
[
équilibre
]
[
insignifiance assumée
]
[
réconfort
]
[
amour de la vie
]
[
mélancolie
]
déclaration d'amour
Si tu m'attends, je reviendrai,
Mais attends-moi très fort.
Attends, quand la pluie jaune
Apporte la tristesse,
Attends quand la neige tournoie,
Attends quand triomphe l'été
Attends quand le passé s'oublie
Et qu'on n'attend plus les autres.
Attends quand des pays lointains
Il ne viendra plus de courrier,
Attends, lorsque seront lassés
Ceux qui avec toi attendaient.
Si tu m'attends, je reviendrai.
Ne leur pardonne pas, à ceux
Qui vont trouver les mots pour dire
Qu'est venu le temps de l'oubli.
Et s'ils croient, mon fils et ma mère,
S'ils croient, que je ne suis plus,
Si les amis las de m'attendre
Viennent s'asseoir auprès du feu,
Et s'ils portent un toast funèbre
A la mémoire de mon âme...
Attends. Attends et avec eux
refuse de lever ton verre.
Si tu m'attends, je reviendrai
En dépit de toutes les morts.
Et qui ne m'a pas attendu
Peut bien dire : " C'est de la veine ".
Ceux qui ne m'ont pas attendu
D'où le comprendraient-ils, comment
En plein milieu du feu,
Ton attente
M'a sauvé.
Comment j'ai survécu, seuls toi et moi
Nous le saurons,
C'est bien simple, tu auras su m'attendre,
Comme personne.
Auteur:
Simonov Konstantin Mikhailovitch
Années: 1915 - 1979
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: poète, scénariste, et journaliste
Continent – Pays: Europe - Russie
Info:
Les vivants et les morts, 1941
[
espérance
]
[
expectative
]
écrivain-sur-écrivain
D’où vient le sentiment de malaise que fait naître Gogol ? De la certitude où il était peut-être lui-même d’avoir écrit le Diable, et pas un diable métaphorique mais le vrai Néant, le Rien qui devient tout – le Rien qui se déploie, et qui rigole, et qui vous laisse, seul, démoli, réduit à lui. Du Révizor au Mariage, en passant par Les Joueurs, du Nez au Manteau jusqu’au Portrait – la même force vide qui vous vampirise. Cette force, elle éclate dans Les Âmes mortes. Et pas seulement parce qu’il s’agit de morts qu’on peut vendre parce qu’ils ne coûtent pas cher, vu qu’ils sont morts, mais qu’on peut vendre parce qu’ils sont encore vivants aux yeux de l’administration. Non, ce n’est pas le sujet qui est en cause. Il y a dedans, par-delà les passages comiques, les scènes d’anthologie, derrière une invention verbale proprement géniale, quelque chose qui vous ronge – un sentiment, oui, comme de possession par quoi ? par un regard terrifiant, sans compassion aucune, sans pitié sur les hommes et particulièrement sur ceux qui se démènent, tremblent et se haïssent sur cette étendue plate, immense, et insauvable qu’on appelle la Russie… L’image de la troïka qui fend l’espace et de l’ivresse du voyage rappellent dans l’Odyssée de Tchitchikov "Les Démons" de Pouchkine – qui donnent leur titre aux Démons de Dostoïevski : Un tournoiement entre les monstres vides.
Alexandre Blok, mourant en 1921, l’avait écrit : "Elle nous a bouffés, notre brave mère patrie russe, comme une truie ses porcelets…" – Gogol, sidéré lui-même par l’ampleur du désastre qu’il reflétait, s’est, sans métaphore aucune, au sens le plus concret du terme, retourné dans sa tombe.
Auteur:
Markowicz André
Années: 1960
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: traducteur, poète
Continent – Pays: Europe - France
Info:
Partages
[
slaves
]
rumination
Qu'ils aillent se faire foutre...
Eux et la musique déprimante ainsi que les jingles irritants de la radio, la pluie incessante et le vent tiède, les clébards qui aboient toute la nuit et chient toute la journée, les plats mal cuits et le thé tiède, les boutiques pleines d'objets dont tu ne veux pas à des conditions que tu ne peux pas te permettre, les maisons qui sont des prisons et les prisons qui sont des maisons, l'odeur de la peinture qui masque l'odeur de la peur, les trains qui n'arrivent jamais à l'heure dans des endroits qui se ressemblent tous, les bus que tu n'oses pas prendre et ta voiture qu'on abîme toujours, les déchets qui tournoient, poussés par le vent, dans les rues, les films dans le noir et les promenades dans le parc pour tripoter ou baiser, un doigt ou une queue, le goût de la bière qui émousse celui de la peur, la télévision et le gouvernement, Sue Lawley et Maggie Thatcher, les Argies et les Falklands, UDA et LUFC bombés sur les murs de ta mère, la swastika et la corde au-dessus de sa porte, la merde dans sa boîte aux lettres et la brique à travers sa fenêtre, les coups de téléphone anonymes et les coups de téléphone orduriers, la respiration haletante et la tonalité, les sarcasmes des enfants et les injures de leurs parents, les yeux plein de larmes qui ne brûlent pas à cause du froid mais à cause de la frustration, les mensonges qu'ils disent et la souffrance qu'ils apportent, la solitude et la laideur, la stupidité et la brutalité, l'indifférence perpétuelle et fondamentale de tout le monde, à toutes les minutes, à toutes les heures, tous les jours, tous les mois, toutes les années de toutes les vies.
Auteur:
Peace David
Années: 1967 -
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Angleterre
Info:
1983
[
rancoeur
]
[
pessimisme
]
[
ennui
]