Fascinant : des " battements d'ailes de papillons " quantiques expliqueraient notre Univers !
On savait déjà que la théorie de l'inflation en cosmologie pouvait prédire la création d'une série d'univers poches, des régions de l'espace-temps peuplant un multivers avec des lois physiques un peu différentes, mais nées à partir de fluctuations quantiques, notamment celles de l'écume de l'espace-temps en gravitation quantique. Mais une exploration plus profonde de cette théorie vient de montrer des liens avec un phénomène de la théorie du chaos bien connu en météorologie : l'effet papillon. Cet effet déterminerait le destin et la naissance du multivers de l'inflation, contenant le nôtre.
Dès le XIXe siècle, les développements de la physique mathématique avaient montré que bien que la gravitation, la chaleur et le magnétisme ou encore la mécanique des fluides soient des phénomènes physique différents, un certain nombre d'équations mathématiques leur était en commun que, dans leur jargon, les physiciens appellent des équations aux dérivées partielles du potentiel, de la diffusion et des ondes pour nommer les principales. On pouvait donc s'inspirer d'un problème de calcul du champ de gravitation pour résoudre un problème d'écoulement d'air autour d'une aile d'avion par exemple.
Ces analogies sont valables pour d'autres équations, ce qui permet aux physiciens, comme l'expliquait Richard Feynman dans son célèbre cours, de maîtriser plusieurs éléments de théories physiques différentes en les ramenant à quelques problèmes de physique mathématique canoniques et donc de ne pas capituler devant un océan de savoirs grandissant. Il y a tout de même des limites et les derniers physiciens universels, ou peu s'en faut, étaient sans doute Enrico Fermi et Lev Landau, il y a plus de 60 ans.
Tout ceci s'applique aussi bien à l'astrophysique que la géophysique. Les chercheurs y sont confrontés à des questions et des phénomènes similaires relevant notamment de ce qu'on appelle la nécessité d'avoir des méthodes non perturbatives pour des phénomènes non linéaires et de tenir compte de la sensibilité de certaines équations aux conditions initiales, comme le disent là encore les scientifiques dans leur jargon.
Prenons quelques exemples simples. Lorsque l'on considère des vagues faibles à la surface de l'eau ou des écoulements d'air lents autour d'une aile d'avion, on peut considérer des équations d'ondes linéaires, ce qui veut dire qu'une combinaison de deux solutions de ces équations linéaires est encore une solution simplement en faisant une addition. Souvent d'ailleurs, il suffit de combiner des sommes de fonctions sinus et cosinus simples, par exemple.
Mais quand la surface de l'eau est agitée lors d'une tempête, les équations que l'on doit utiliser, par exemple pour expliquer l'existence des vagues scélérates, ne sont plus linéaires. Pour les résoudre, il faut utiliser de nouvelles méthodes mathématiques que l'on appelle donc " non perturbatives " ou s'en remettre à des simulations numériques avec de puissants ordinateurs.
Or, avec les équations non linéaires, il peut apparaître des phénomènes dits chaotiques qui montrent la fameuse sensibilité aux conditions initiales. On parle souvent de ce phénomène en termes d'effet papillon.
(vidéo : Les prévisions météorologiques s’améliorent constamment mais, malgré les progrès considérables de la science et de la technologie, il reste une limite à la prévision de l’avenir. Cette limite est due à la théorie du chaos, l'idée selon laquelle le battement d'ailes d'un papillon au Brésil pourrait provoquer une tornade au Texas. Bien que cela puisse paraître légèrement exagéré, la théorie du chaos peut avoir un impact puissant sur les prévisions météorologiques, mais les météorologues disposent de moyens permettant d'atténuer ses impacts et d'améliorer les prévisions.)
Un Univers chaotique, du Big Bang à la météorologie
On s'est rendu compte avec la théorie du chaos et des simulations sur ordinateurs qu'une erreur, aussi faible que les perturbations d'un vol de papillon sur la densité et la vitesse de l'air locales de l'endroit où vole le papillon, allait conduire la météorologie à bifurquer rapidement dans le futur au point que la présence ou l'absence de ce vol de papillon pouvait faire la différence entre l'existence ou non d'un cyclone à une date donnée. Comme nous ne pouvons pas connaître avec une précision pareille l'état de l'atmosphère partout sur la Planète, nécessairement toute prédiction météorologique est destinée à n'avoir qu'une valeur très limitée dans le temps.
Il se trouve que depuis des décennies on peut comparer le comportement de l'espace-temps décrit par les équations non linéaires de la relativité générale avec le comportement des fluides décrits par les équations non linéaires de Navier-Stokes, de sorte que l'on parle par exemple d'écume quantique de l'espace-temps et que l'on peut faire intervenir la théorie du chaos et l'équivalent de la turbulence des fluides pour l'espace-temps en cosmologie.
Le modèle cosmologique standard fait aussi implicitement la supposition qu'il est bien complété par une théorie qui n'est pas encore démontrée, mais qui est bien corroborée par les observations du fameux rayonnement fossile ainsi que certaines caractéristiques de la structure à grande échelle des distributions de galaxie. Il s'agit de la théorie de l'inflation qui suppose que très tôt dans l'histoire du cosmos observable, il a existé une phase exponentiellement rapide d'expansion, mais très courte et transitoire de l'espace.(video : Rejoignez Katie Mack, titulaire de la chaire Hawking en cosmologie et communication scientifique de l'Institut Perimeter, dans un incroyable voyage à travers le cosmos dans notre nouvelle série, Cosmology 101. Dans cet épisode, nous apprenons comment la détection du fond diffus cosmologique (CMB) a validé la théorie du Big Bang et conduit au développement du concept d'inflation cosmique. Explorez les défis et les débats en cours en cosmologie alors que les scientifiques cherchent à découvrir la véritable nature de l'Univers primitif et les origines de la structure cosmique. )
Un zoo de théories inflationnaires possibles
La théorie de l'inflation se décline en plusieurs versions possibles qui ont été proposées au cours du temps comme celles de deux astrophysiciens russes Alexei Starobinski et Andrei Linde, ce dernier ayant proposé la théorie chaotique de l'inflation qui conduit naturellement à la notion d'inflation éternelle dont Futura avait parlé avec Max Tegmark. Comme le montre bien Andrei Linde dans un ouvrage en accès libre, les spéculations en physique des particules au-delà du modèle standard de la physique des hautes énergies rendent l'existence d'une phase d'inflation presque inévitable et dans l'Univers primordial elle s'accompagne de fluctuations/oscillations quantiques ayant laissé des traces dans le rayonnement fossile et à l'origine de la matière. Très souvent, on postule pour cela l'existence d'un nouveau champ scalaire cousin de celui du fameux boson de Brout-Englert-Higgs et que l'on appelle l'inflaton. Il n'est pas facile cependant de déduire des champs d'inflatons possibles l'existence et l'état du cosmos observable actuel. Dans certains cas, l'inflation n'est pas assez puissante et dans d'autres, l'Univers se recontracte très rapidement au cours du Big Bang.
Là aussi se pose la question de savoir si l'on doit utiliser une approche perturbative ou non perturbative des modèles possibles d'inflation et c'est cette question qui a été examinée en utilisant des simulations numériques par une équipe de chercheurs, des membres du CNRS à l'Institut d'astrophysique de Paris (dont le médaillé de bronze du CNRS 2024 Sébastien Renaux-Petel) et de l'université Johns-Hopkins (États-Unis), comme on peut le voir dans une publication en accès libre sur arXiv.
Une prédiction de la théorie des supercordes ?
Comme l'explique un communiqué du CNRS, les astrophysiciens ont découvert que les petites fluctuations quantiques dont on savait que les effets pouvaient être amplifiés par une phase d'inflation devaient l'être également par des phénomènes non linéaires de la théorie inflationnaire, dont on ne connaissait pas l'importance auparavant. Remarquablement, ils émergent dans un modèle de champ d'inflatons avec des oscillations et que l'on peut déduire de la théorie des supercordes.
Tout comme dans le cas de l'effet papillon en météorologie, plusieurs évolutions divergentes de l'état initial du cosmos au début du Big Bang seraient alors possibles et peut-être réalisées dans un multivers. En tout état de cause, cela ouvre de nouvelles perspectives quant aux prédictions possibles des Univers qui peuvent émerger d'effets chaotiques dans la physique de la phase inflationnaire, en supposant qu'elle ait existé.
L'article, aujourd'hui publié dans les célèbres Physical Review Letters, explique ainsi : " Nous démontrons que de minuscules fluctuations quantiques à petite échelle, amplifiées par la caractéristique oscillatoire, peuvent considérablement affecter le destin de l'Univers tout entier, empêchant parfois l'inflation de se terminer. Cet " effet papillon inflationniste " révèle la nécessité d'un traitement non perturbatif dans le régime pertinent pour les observations. Cela marque le début d'une nouvelle ère dans l'exploration des premières époques de l'Univers, rappelant à certains égards les simulations pionnières de phénomènes chaotiques. "
Le communiqué du CNRS ajoute que les chercheurs " ont montré que dans certaines théories, l'Univers entier peut être piégé dans un état d'inflation éternelle, inhospitalier à la vie. Dans d'autres cas, les fluctuations quantiques peuvent déclencher la formation de trous noirs à partir de l'effondrement de poches d'univers. Ces trous noirs ne sont pas des vestiges stellaires typiques : à l'intérieur ne se trouve pas le cœur effondré d'une étoile, mais un univers parallèle tout entier ! Ces travaux marquent une percée dans l'étude de l'Univers primordial à l'aide de méthodes non perturbatives, à l'interface entre la cosmologie, la théorie du chaos et les sciences computationnelles ".
Remarquablement, il est possible que les ondes gravitationnelles associées à ces nouveaux effets soient accessibles aux programmes de détection comme ceux utilisant des pulsars.