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création conceptuelle

Le mot "théologie", qui apparaît pour la première fois chez Platon (République, II, 379a), signifie d’abord "parole sur le divin" (les poètes de la mythologie grecque sont appelés des "théologiens"). Aristote connaît cet emploi, mais inaugure un nouveau sens, celui de "science de Dieu", qui finira tardivement par s’imposer : au XIIe siècle, Abélard est le premier à l’employer en ce sens ; au XIIIe siècle, saint Thomas parle encore préférablement de "doctrine sacrée". Le mot "ontologie" est beaucoup plus récent. Il semble qu’il apparaisse pour la première fois en 1647, dans un ouvrage du philosophe allemand Johann Clauberg (1622-1665), en concurrence d’ailleurs avec le terme d’ "ontosophie" [comme science qui considère l’être en général] […]. Clauberg est un jésuite, disciple de Descartes, et qui, à travers lui, reçoit l’influence de Suarez. C’est en effet le jésuite espagnol Francisco Suarez (1548-1617) qui, "à la fin du XVIe siècle, sera le premier à redécouvrir cette assimilation prématurée de la science de l’universel et de la science du premier" [Aubenque, La question de Dieu chez Aristote et chez Hegel, 1991, page 265]. […] Avant Suarez, il y aurait eu, chez les médiévaux, une assimilation implicite entre la métaphysique, étude de l’être en tant qu’être, c’est-à-dire de l’être en général, et la théologie, étude de l’Être premier, c’est-à-dire de l’Être par excellence. C’est pourquoi, réduisant l’ontologie à la théologie, les médiévaux n’avaient pas besoin d’un terme particulier (en l’occurrence selon d’ontologie) pour désigner la science de l’être, puisque l’Etre premier est le principe de l’être en général […]. Au contraire, pour Suarez, saisir théologiquement l’Être premier n’est possible que sur la base de la notion commune d’être en général (Disputationes metaphysicae, I, 5, 15) – ce que nous accordons à condition de reconnaître que cette notion n’est elle-même possible que sur la base d’une intuition fontale de l’Etre en tant que tel, ou, si l’on préfère, du sens inné de l’être, qui est le "souvenir" ou la trace subconsciente que l’acte créateur de Dieu a laissé dans notre âme.

Il s’ensuit de la position de Suarez que la science de Dieu, la théologie (philosophique) n’est pas première, mais qu’elle est précédée par la science de l’être en général, Dieu n’étant plus que le premier des êtres particuliers, si l’on ose dire. C’est la conscience explicite de cette distinction entre l’être en général et l’Etre premier que signale l’apparition du mot ontologie. […] Désormais, les traités de philosophie (scolastiques ou non), surtout à partir du leibnizien Christian Wolf (1679-1754), qui imposera l’usage du terme d’ontologie, auront tendance à diviser la métaphysique en deux parties : la "métaphysique générale" ou "ontologie" et la "métaphysique spéciale" qui, sous l’appellation de "théologie rationnelle" ou "théodicée", s’occupera de cet Être spécial qu’est l’Être divin.

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 44-45

[ historique ] [ étymologie ] [ sécularisation ]

 

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interprétation textuelle

A partir du IIIe siècle avant J.-C., sous l’impulsion de l’organisation du savoir qui s’opère à Alexandrie, une grande partie de l’activité philosophique consiste à constituer un genre philosophique nouveau (de type "universitaire") d’une grande ampleur et diversité, pour lequel les œuvres fondatrices deviennent prétexte à développer des problématiques divergentes et quasi autonomes, reprises au long des siècles : c’est ce genre nouveau que désigne le terme de commentarisme.

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, page 43

[ historique ] [ exégèse ]

 
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scolastique moderne

L’être […] est attribué à l’accident et à la substance de manière analogique (et non pas de manière univoque) dans la mesure où l’être de l’accident renvoie à l’être de la substance (et non réciproquement). C’est précisément pourquoi on peut parler d’une analogie de l’être, ce qui signifie que l’être n’est dit de la substance et de l’accident que de manière analogique. Mais qu’en est-il, maintenant, si nous introduisons la considération de l’être divin comparé à celui des créatures ? Être ne peut se dire équivoquement de Dieu et des créatures : ce serait ne rien dire. Il ne peut se dire univoquement : ce serait du panthéisme. Il se dit donc analogiquement. Mais de quelle analogie ? Est-ce de l’analogie d’attribution ? Il ne semble pas car […] l’être de l’accident en appelle à l’être de la substance : l’accident n’existe que de l’existence de la substance. Est-ce ainsi qu’existe la créature ? Existe-t-elle de l’existence dont Dieu existe ? Assurément, non. L’accident peut bien être, du point de vue de l’être, identifié à la substance, la créature, du même point de vue, ne peut l’être à Dieu, sinon elle n’existerait pas elle-même et ne serait qu’un accident de la Substance divine. Il faut donc que ce soit selon une analogie de proportionnalité.

[…] Dans l’analogie d’attribution, les entités analoguées sont unies par une relation ontologique qui fonde la légitimité de l’attribution. Dans la proportionnalité, chaque entité est mise en rapport avec une autre, et ce sont ces divers rapports qui sont identifiés, non les analogués eux-mêmes. En conséquence, l’analogie de l’être, dans le cas de l’être divin, si l’on tient à préserver sa transcendance, doit être considérée selon une simple égalité de rapports : l’existence incréée est à Dieu ce que l’existence créée est à la créature. "Cela ne veut pas dire, explique Etienne Gilson, que le rapport de Dieu à son être soit le même que celui de l’homme à son être : ils sont au contraire infiniment différents ; mais dans les deux cas, le rapport existe, et le fait qu’il existe à l’intérieur de chaque être établit entre tous les êtres une analogie. C’est cela même qui est l’analogie de l’être, et l’on voit pourquoi elle n’est qu’une analogie de proportionnalité, car elle peut s’établir entre des êtres qui n’ont entre eux aucune proportion, pourvu que chacun d’eux soit à l’égard de soi ce que les autres sont à l’égard d’eux." [L’esprit de la philosophie médiévale, 1948, page 98]

A vrai dire, cette conclusion n’est pas reçue par tous les thomistes. Le Père Henri-Dominique Gardeil estime, en accord avec Jean de Saint-Thomas, que l’on se trouve ici "devant un cas d’analogie mixte où paraissent se conjuguer la proportionnalité et l’attribution" [Initiation à la philosophie de saint Thomas, t. IV, 1966, page 41]. On ne saurait nier, en effet, que l’être ne se dise par priorité de Dieu, ce qui implique une hiérarchie de l’ordre ontologique (ce qu’on appelle une ontologie scalaire) et un premier analogué, donc une analogie d’attribution. Gardeil fait d’ailleurs remarquer que cette mixité se rencontre chaque fois qu’il est question des "transcendantaux" […] ; ces notions sont, outre l’être, l’un, le vrai, le bien, le beau […]. […]

Ces remarques montrent déjà qu’au sein de la famille thomiste, les divergences ne manquent pas […] ; et d’ailleurs, comment concilier le thomisme de Gilson avec celui de Garrigou-Lagrange, ou même de Maritain ? Mais ils s’accordent cependant à désigner l’analogie de proportionnalité propre comme celle dont relève l’analogie de l’être qui est, par excellence, l’analogie métaphysique.

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 37 à 39

[ christianisme ] [ principe ]

 

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moi-je

L’homme, chaque homme est appelé au salut. Il est voulu et aimé par Dieu, et sa plus noble tâche est de répondre à cet amour. Il n’a pas le droit de haïr ce que Dieu aime. Il n’a pas le droit de détruire ce qui est destiné à l’éternité. Être appelé à l’Amour de Dieu, c’est être appelé au bonheur. Devenir heureux est un "devoir" aussi bien humain et naturel que surnaturel. Lorsque Jésus parle de reniement de soi, de perdre sa propre vie, etc., il montre le chemin de la juste affirmation de soi (l’ "amour de soi") qui exige toujours une ouverture de soi, un dépassement de soi-même. Mais cette nécessité de sortir de soi-même, de partir de soi-même, n’exclut pas la véritable affirmation de soi ; tout au contraire, c’est le moyen de se trouver soi-même et d’ "aimer".

Auteur: Ratzinger Joseph Benoît XVI

Info: Regarder le Christ

[ christianisme ] [ créature-créateur ]

 
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acédie

D’après Thomas [d'Aquin], cette indolence métaphysique est identique à la "tristesse de ce monde" dont saint Paul dit qu’elle conduit à la mort (2 Co 7,10). Qu’en est-il de cette mystérieuse tristesse de ce monde ? Il n’y a pas très longtemps, ce mot pouvait nous paraître obscur, voire irréel, car on avait l’impression que les enfants de ce monde étaient beaucoup plus joyeux que les croyants, eux-mêmes tourmentés par des scrupules de conscience qui les empêchaient de jouir allégrement de la vie, et regardant avec un peu d’envie les incroyants qui habitaient apparemment sans angoisses et sans hésitations le jardin paradisiaque de la félicité terrestre. La désertion massive de l’Eglise tenait justement à ce que les gens voulaient être enfin délivrés de ces pénibles limites qui semblaient leur interdire non pas seulement un arbre du jardin, mais à peu près tous les arbres. On avait l’impression que seule l’incroyance pouvait libérer et conduire à la joie. A de nombreux chrétiens des temps modernes, le joug du Christ ne paraissait pas du tout "léger" ; ils le trouvaient même beaucoup trop lourd, du moins tel que l’Eglise le leur présentait.

Maintenant que l’on a pleinement savouré les promesses de la liberté illimitée, nous commençons à comprendre à nouveau "tristesse de ce monde". Les plaisirs interdits perdirent leur attrait dès l’instant où ils ne furent plus interdits. Même poussés à l’extrême et indéfiniment renouvelés, ils semblent fades, parce qu’ils sont tous finis et qu’il y a en nous une faim d’infini. Aussi voyons-nous aujourd’hui précisément dans le visage des jeunes gens une étrange amertume, une résignation qui est bien loin de l’élan du départ juvénile dans l’inconnu. La racine la plus profonde de cette tristesse, c’est l’absence d’une grande espérance et l’inaccessibilité du grand Amour : tout ce que l’on peut espérer est connu, et tous les amours sont l’objet d’une déception due à la finitude d’un monde où les formidables succédanés ne sont que le piètre masque d’un désespoir abyssal. […]

L’anthropologie chrétienne traditionnelle dit qu’une telle tristesse provient d’un manque de magnanimité, de l’incapacité de croire à la grandeur de la vocation humaine qui nous est destinée par Dieu. L’homme n’a pas le courage d’atteindre sa véritable grandeur : il veut être "plus réaliste". L’indolence métaphysique serait par conséquent identique à la pseudo-humilité qui est devenue si fréquente aujourd’hui : l’homme ne veut pas croire que Dieu s’occupe de lui, le connaisse, l’aime, le regarde, soit à côté de lui.

Il existe de nos jours une curieuse haine de l’homme contre sa propre grandeur. L’homme se considère comme l’ennemi de la vie et de l’équilibre de la création, comme le grand trouble-fête de la nature qui ferait mieux de ne pas exister, comme la créature manquée. Sa délivrance, celle du monde, consisterait donc à se dissoudre lui-même, à éliminer l’esprit, à faire disparaître la spécificité de l’humain, pour que la nature retrouve son inconsciente perfection dans son rythme et sa sagesse propres, dans le cycle de la mort et du devenir.

Au commencement du chemin, il y eut l’orgueil de vouloir "être comme Dieu". Il fallait se débarrasser du surveillant Dieu pour être libre : reprendre en soi le Dieu projeté au ciel et dominer soi-même la création à l’égal de Dieu. Mais on en est véritablement arrivé à une sorte d’esprit et de volonté qui s’opposait et qui s’oppose à la vie, et qui est le règne de la mort. Et plus cela est sensible, plus le projet initial se transforme en son contraire tout en restant prisonnier de son point de départ : l’homme qui ne voulait plus être que son propre créateur et qui désirait réaménager la création en imaginant une meilleure évolution, cet homme finit dans l’autonégation et l’autodestruction. Il juge qu’il vaudrait mieux ne pas exister. Cette "indolence" (acedia) métaphysique est compatible avec une grande activité et beaucoup d’occupations. Sa nature est la fuite de Dieu, le désir de rester seul avec soi-même et sa finitude, de ne pas être dérangé par la proximité de Dieu.

Dans l’histoire, telle qu’elle nous est décrite dans les Livres saints, nous rencontrons très souvent ces tentations : Israël trouve qu’il est trop fatigant d’être choisi par Dieu et de devoir constamment marcher avec lui ; il préfère retourner en Egypte, revenir à la normalité et être comme tous les autres. Cette rébellion de l’indolence humaine contre la grandeur du choix est une image de la révolte contre Dieu qui revient toujours dans l’histoire, et qui caractérise notre époque d’une manière particulière. Dans cette tentative de se débarrasser du choix, l’être humain ne se révolte contre rien de spécial. Lorsqu’il est trop astreignant d’être aimé par Dieu, lorsque cela cause une gêne indésirable, il s’insurge contre sa propre nature. Il ne veut pas être ce qu’il est pourtant en tant que créature.

Auteur: Ratzinger Joseph Benoît XVI

Info: Regarder le Christ

[ christianisme ] [ péché ]

 

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altruisme

L'attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité. Il est donné à très peu d'esprits de découvrir que les êtres et les choses existent. C'est en somme le sujet de l'histoire du Graal. Seul un être prédestiné a la capacité de demander à un autre : quel est ton tourment ? Et il ne l'a pas en entrant dans la vie. Il lui faut passer par des années de nuit obscure.

Auteur: Weil Simone

Info: Lettre au poète Joë Bousquet, 1942

[ prévenance ] [ ouverture ]

 

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style

Ce que peut avoir chez moi ce besoin d’en rajouter que j’ai toujours et qui, bien entendu, est à chercher dans mon goût de faire beau - nous retombons sur nos pieds - c’est mon penchant pervers, donc ma sophistique peut être superflue.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 16 novembre 1960

[ autocritique ]

 
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psychanalyse

À la différence de BREUER - quelle qu’en soit la cause - FREUD prend pour démarche celle qui fait de lui le maître du redoutable petit dieu [Érôs]. Il choisit comme SOCRATE de le servir pour s’en servir. C’est bien là le point où vont commencer pour nous tous les problèmes. Encore s’agissait-il bien de le souligner ce s’en servir de l’Érôs. Et s’en servir pour quoi ? C’est bien là qu’il était nécessaire que je vous rappelle les points de référence de notre articulation de l’année dernière [séminaire sur l'éthique] : s’en servir pour le "bien". Nous savons que le domaine d’Érôs va infiniment plus loin qu’aucun champ que puisse couvrir ce "bien", tout au moins nous tenons pour acquis ceci.

Vous voyez que les problèmes que pose pour nous le transfert, ne vont ici que commencer. Et c’est d’ailleurs une chose perpétuellement présentifiée à votre esprit - c’est langage courant, discours commun concernant l’analyse, concernant le transfert - vous devez bien n’avoir d’aucune façon, ni préconçue ni permanente, comme premier terme de la fin de votre action, le "bien", prétendu ou pas, de votre patient, mais précisément son erôs. Je ne crois pas devoir manquer de rappeler - une fois de plus ici - ce qui conjoint au maximum du scabreux l’initiative socratique à l’initiative freudienne, en rapprochant leur issue dans la duplicité de ces termes où va s’exprimer d’une façon ramassée à peu près ceci : SOCRATE choisit de "servir erôs pour s’en servir" ou en s’en servant.

Cela l’a conduit très loin - remarquez-le - à un "très loin" qu’on s’efforce de camoufler en faisant un pur et simple "accident" de ce que j’appelai tout à l’heure : "le fond grouillant de l’infection sociale". Mais n’est-ce pas lui faire injustice, ne pas lui rendre raison, de le croire : de croire qu’il ne savait pas parfaitement qu’il allait proprement à contre-courant de tout cet ordre social au milieu duquel il inscrivait sa pratique quotidienne, ce comportement véritablement insensé, scandaleux, de quelque mérite que la dévotion de ses disciples ait entendu ensuite la revêtir, en mettant en valeur les faces héroïques du comportement de SOCRATE.

Il est clair qu’ils n’ont pas pu faire autrement qu’enregistrer ce qui est caractéristique majeur et que PLATON lui-même a qualifié d’un mot resté célèbre auprès de ceux qui se sont approchés du problème de SOCRATE, c’est son ἀτοπία [atopia]... dans l’ordre de la cité pas de croyances salubres si elles ne sont point vérifiées ...dans tout ce qui assure l’équilibre de la cité, non seulement SOCRATE n’a pas sa place, mais il n’est nulle part.

Et quoi d’étonnant si une action si vigoureuse, dans son caractère inclassable - si vigoureuse qu’elle vibre encore jusqu’à nous - a pris sa place. Quoi d’étonnant à ce qu’elle ait abouti à cette peine de mort, c’est-à-dire à la mort réelle de la façon la plus claire, en tant qu’infligée à une heure choisie à l’avance avec le consentement de tous et pour le bien de tous, et après tout sans que les siècles aient jamais pu trancher depuis si la sanction était juste ou injuste.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 16 novembre 1960

[ philosophie ] [ comparaison ] [ inacceptables ] [ condamnation ]

 

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concepts philosophiques

La philosophie appelle "substance" (ousia en grec) ce qui existe par soi-même ; par exemple l’eau, un arbre, un chat, un homme, un ange. Elle appelle "accident" ce qui n’existe que dans une substance, que par son inhérence dans une substance. Il y a donc deux sortes d’êtres, deux façons d’exister : l’être substantiel et l’être accidentel ; "accident" parce qu’il "arrive dans" la substance (accidens, en latin, signifie "qui arrive dans"). Les accidents sont de plusieurs sortes : quantité, qualité, relation, action, passion, temps, espace, etc. Ce sont toutes les manières d’être d’un être, tout ce qu’on peut en dire.

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, page 36

[ définitions ] [ étymologie ] [ attribut ]

 
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philosophie

La doctrine classique de l’analogie dans la scolastique moderne se donne pour une systématisation achevée de la pensée d’Aristote sur le sujet, complétée et mise au point par saint Thomas d’Aquin. Elle nous apprend que, selon Aristote, il y a deux sortes d’analogie :

1° L’analogie de proportionnalité, dont la notion est empruntée aux mathématiciens. Elle se formule ainsi : a/b = c/d. Transposée hors de son domaine d’origine, elle devient : a est à b ce que c est à d. Autrement dit, le rapport de a à b  est identique au rapport de c à d. Il s’agit d’un rapport (d’égalité ou d’identité) entre des rapports. […]

2° L’analogie dite "d’attribution" parce qu’elle qualifie le mode selon lequel un même terme est "attribué" (à dessein et volontairement = a consilio et non par hasard = a casu) à deux entités différentes lorsque cette attribution n’est ni univoque, ni équivoque ; ici, ce ne sont plus les entités qui sont qualifiées d’analogues, mais l’attribution du terme qui est analogique. Qu’est-ce à dire ?

Il y a univocité lorsque le terme unique attribué à deux entités différentes garde le même sens : ainsi, "animal" se dit de l’homme exactement au sens où il se dit du chien. Il y a équivocité lorsque le terme attribué ne garde pas le même sens selon les entités auxquelles il est attribué : ainsi, "chien" se dit de l’animal et de la constellation de ce nom. […] On constate […] que le langage peut appliquer un même terme à des entités différentes d’une façon qui n’est ni vraiment univoque, ni simplement équivoque. L’exemple classique (repris d’Aristote) est, au Moyen Age, celui de l’adjectif "sain" qui est attribué à l’animal, au remède, à la boisson et à l’urine. A l’animal, "sain" est attribué au sens propre ; l’animal est l’être en qui se réalise proprement la santé ; au remède, à la boisson, à l’urine, "sain" est attribué analogiquement […]. Nous ne sommes pas condamnés à l’alternative : ou signification univoque, ou pas de signification (car la signification équivoque est en réalité une non-signification) ; mais il y a place pour un mode intermédiaire de signification, que l’on appellera "analogique". Cette façon de situer l’attribution analogique en intermédiaire entre l’attribution univoque et l’attribution équivoque est constatée dans toutes les doctrines médiévales et en constitue le point fondamental.

Maintenant, si nous scrutons ce mode analogique d’attribution, nous remarquerons qu’il se fait toujours en référence à une première entité (que l’on appellera, pour cette raison, le "principal analogué") dans laquelle le terme attribué a sa pleine signification réaliste […]. [les autres entités qui ne sont attribués que postérieurement ou secondairement sont appelés "analogués seconds"]

Une deuxième remarque s’imposera, qui jouera un rôle de plus en plus important dans l’évolution de la doctrine thomasienne. Si l’on considère l’analogie d’attribution dans les seconds analogués, on s’aperçoit qu’elle n’a pas exactement le même sens selon qu’il s’agit du rapport d’analogie que les seconds analogués soutiennent entre eux […] sur la base de leur commun rapport au premier analogué, ou selon qu’il s’agit du rapport que chaque second analogué, pris séparément, soutient avec ce premier analogué […]. Cette seconde relation (qui varie d’ailleurs selon les analogués) est le fondement déterminé de la première.

Cette première relation est définie "de plusieurs par rapport à un seul" (plurium ad unum) ou encore "de deux termes par rapport à un troisième" (duorum ad tertium) […]. [La] seconde analogie qui existe entre chaque analogué, pris séparément, et l’analogué premier (ou principal) se nomme analogie "de l’un par rapport à l’autre" (unius ad alterum). […] [si le terme caractérisant les analogués seconds n’est attribuée ni à l’un, ni à l’autre, il s’agit d’une analogie d’attribution extrinsèque]

En est-il toujours ainsi ? Non. Il y a des cas où un même terme s’attribue à des réalités différentes en gardant formellement, dans une certaine mesure, la même signification. Il s’agit bien d’une analogie d’attribution, soit "de l’un par rapport à l’autre", soit "de plusieurs par rapport à un seul", mais qui n’exclut pas que le terme attribué désigne une propriété intrinsèque à chacune des entités auxquelles il est attribué, qu’il s’agisse d’analogué premier ou d’analogués seconds. Ainsi, quand nous disons : la quantité est (existe), la qualité est (existe), nous attribuons bien l’être à deux "catégories" (la quantité et la qualité) comme une propriété intrinsèque à chacune d’elles, parce que ces catégories (ou "prédicaments") existent bien réellement ; l’être ainsi attribué est même le seul point que la quantité et la qualité possèdent en commun, et qui permet de les introduire dans une relation d’analogie. Cependant, ni la quantité, ni la qualité ne possèdent l’être par elles-mêmes. Considérons la quantité "trois" et la qualité "vert" : elles n’existent pas à l’état isolé et ne se rencontrent jamais en tant que telles, mais seulement comme, par exemple, le nombre et la couleur des feuilles du trèfle. Le trèfle, lui, existe par lui-même, c’est une substance individuelle ; "trois" et "vert" n’existent que de son existence, ce sont des accidents, et l’être ne leur est attribué que par référence à l’être de la substance. C’est l’analogie "de plusieurs par rapport à un seul", dite encore "de deux termes à un troisième". Maintenant, si on compare l’être de la quantité à l’être de la substance (analogie "de l’un par rapport à l’autre"), on voit que l’attribution de l’être à l’une est proportionnelle à l’attribution de l’être à l’autre : la quantité n’existe qu’à proportion de l’existence de la substance. Il y a donc un ordre d’attribution de l’être "par priorité et par dérivation" (per prius et posterius). Plus précisément, l’analogie d’attribution signifie cet ordre même et exprime cette loi ontologique que, dans la réalité, il n’y a pas une pure fusion du multiple dans l’unité d’un être monolithique, ni une pure diffusion ou dissémination de l’être dans une multiplicité d’entités isolées et sans rapport les unes avec les autres, mais une hiérarchie de rapports de participation à l’être.

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 32 à 36

[ principe ] [ résumé ] [ types ] [ occidentale ]

 
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