Howard Buten, le clown Buffo, est mort
Le comédien, également psychologue spécialiste de l’autisme et écrivain, est décédé le vendredi 3 janvier 2025 à l’âge de 74 ans. Retour sur un parcours hors norme.
(Photo . Howard Buten, dans le costume de Buffo, en 2008, lors de l'une de ses dernières apparitions publiques.)
Les clowns meurent aussi ! Buffo, personnage burlesque créé par Howard Buten, est décédé, avec son auteur, le 3 janvier 2025. Résumer en quelques lignes la vie de ce comédien, par ailleurs romancier et psychologue clinicien spécialiste de l'autisme, n'est pas chose aisée, car le personnage aimait s'entourer de mystère. Né le 28 juillet 1950 à Detroit aux États-Unis, son parcours reste plein de zones d'ombre...
Fils aîné d'un avocat, Ben Butensky (qui avait raccourci son nom par souci de simplicité, mais aussi pour se distinguer de son frère, membre d'un gang de malfaiteurs), élevé par une danseuse de claquettes, Dorothy Fleisher, il disait avoir très tôt voulu travailler dans un cirque. Mais pas forcément comme clown… " J'ai toujours détesté les Augustes ", expliquait-il. La faute probablement à Ricky, un tramp clown (un clown clochard) vu à la télévision pendant son enfance. " Ce vagabond aux lèvres blanches, au visage fardé et aux vêtements de guenille me faisait plus peur que rire ", confiait Howard Buten.
Inspiration
Doué pour le chant et doté d'un petit talent de ventriloque, le jeune Howard s'inscrit, en 1968, à l'université du Michigan, aux cours de chinois avec le projet de sillonner l'Asie. Pour voyager, il ne voit alors que deux moyens de transport possibles. Soit le cargo, soit le cirque. À vingt ans, au terme de deux années d'études poussives du mandarin, il tente de s'engager dans la marine marchande. En vain.
Faute de devenir marin, il sera donc circassien. Il s'inscrit au début des années 70 en Floride dans la prestigieuse école du cirque Barnum & Bailey. Une institution prestigieuse fondée par les Ringling Brothers et qui a inspiré à Cecil B. De Mille son long-métrage Sous le plus grand chapiteau du monde (The Greatest Show on Earth) en 1952, avec Charlton Heston et James Stewart.
Howard s'y forme à la pantomime et à la jonglerie auprès de Lou Jacobs (1903-1992). C'est cet artiste qui lui fait prendre conscience de la richesse de l'art clownesque. " Lou m'a tout appris : l'histoire de ce genre qui naît en Italie au XVIIIe siècle avec le comique italo-britannique Joey Grimaldi. Mais aussi le rôle fondamental car thérapeutique du rire ", évoquait Howard Buten.
Premiers pas
Par la magie du masque grotesque du pitre, ses grimaces et ses chutes, le jeune homme réalise qu'il lui est possible de raconter des histoires susceptibles de toucher un public international, sans pour autant avoir à apprendre une langue étrangère. Doté d'une grande faculté d'improvisation et d'un certain don pour la musique (il joue du violon), le jeune apprenti clown ne tarde pas à se faire recruter par le Clyde Beatty Cole Brothers Circus et à partir en tournée.
Son premier sketch est cependant un cuisant échec. " Le clown que j'incarnais (et qui n'avait pas encore de nom) entrait en piste muni d'un panier contenant trois œufs surdimensionnés. J'entreprenais de jongler avec. En vain, évidemment. Je finissais mon tour en faisant jaillir de mon baluchon un poulet que je jetais en l'air. Mais personne ne riait ", se rappelait-il, avec cet air affligé inimitable.
Modèle
Le même numéro lui avait valu d'être recalé à l'examen de sortie de l'école, alors dirigée par Irving Feld. Cet échec provoquera chez lui son premier épisode dépressif. Il y en aura beaucoup d'autres. Une rencontre va néanmoins le sortir de l'ornière. En 1970, il fait la connaissance, en Californie, du clown Otto Griebling. C'est lui qui l'aidera à trouver son style. Rendu muet par un cancer du larynx, Otto a en effet développé des numéros sans paroles et sans artifices dont le comique réside dans l'extraordinaire économie de moyens qu'il met en œuvre face à un public par ailleurs médusé par les tours de force des acrobates, contorsionnistes et autres dompteurs du reste de la troupe.
" Le truc d'Otto était de rester immobile de longues minutes au bord des gradins, de chercher des yeux un spectateur, de le fixer longuement jusqu'à ce qu'un malaise s'installe puis de sembler chercher son nom dans une liste et de le cocher ; avant de passer au suivant ", disait Howard Buten. C'est sur son modèle qu'il crée le personnage de Rumples (un mot que l'on pourrait traduire par " chiffonné "). Et c'est avec ce clown qu'il intègre, en 1972, le cirque Bartok, où il partage la roulotte d'un ancien champion olympique de gymnastique polonais devenu alcoolique.
Révélation
Howard Buten va passer deux saisons au sein de ce cirque. Il y effectue, chaque soir, un périlleux numéro avec un dresseur d'ours puis développe une série de sketchs en groupe. Les clowns américains intervenant en bande là où les Européens sont plutôt adeptes de duos, généralement composés d'un Auguste et d'un Pierrot – un pitre et un clown triste. Mais les explosions de pétard, les tartes à la crème et autres plats de spaghettis qu'ils s'envoient au visage finissent par le lasser.
En 1973, il découvre le personnage de Grock, inventé par le Suisse Adrien Wettach : un personnage comique qui ne donne pas la réplique à un clown blanc, mais à un musicien. C'est une révélation. Quelques mois plus tard, Buffo naît. Le nom, pioché dans le dictionnaire italien, renvoie au " bouffon " médiéval, mais aussi à l'opéra-bouffe…
Naissance de Buffo
Buffo ? C'est un gringalet, incapable de prononcer autre chose qu'un long " hein ? " traînant (ce qui lui donne l'air d'un abruti) ; un homme-enfant incapable d'exprimer ses sentiments (ce qui le rend irascible) ; un individu perpétuellement éberlué par ce qu'il voit du monde (et dont l'apparente inadaptation à son environnement crée, en définitive, une inépuisable poésie). La seule manière de communiquer de Buffo est, de fait, le recours à la musique.
Avec ce personnage, Howard Buten peut enfin exprimer ce qui lui tient à cœur : raconter, de manière cryptée, l'histoire de son grand-père paternel, Joseph Butensky, né vers 1880 dans un shtetl de Lituanie et débarqué à Ellis Island sans parler un mot d'anglais, à la veille de la Première Guerre mondiale. Cet aïeul, devenu chiffonnier, occupe une place centrale dans la vie et l'imaginaire de Howard, qui quitte la troupe du Super Circus Bartok pour intégrer celle d'un music-hall de Mount Clemens, dans la banlieue de Detroit, avec ce personnage de Buffo.
La voix de la musique
Howard Buten se produira d'abord avec la chanteuse Milly Whiteside, puis avec un pianiste, avant de continuer l'aventure en solo, recourant désormais tantôt à une trompette, tantôt à un violon (en réalité, plusieurs, de tailles différentes). " J'envisageais le personnage comme une sorte de Simplet, le nain de Blanche-Neige, fasciné par ce qu'il voyait dans la salle. Un truc que j'avais emprunté à Liza Minelli qui, lorsqu'elle chantait, se mettait à fixer un point au loin, par-delà le public. Si vous apparaissez sur scène et que vous semblez cloué sur place par une apparition lointaine, le public vous prête tout à coup une attention soutenue ", résumait-il.
Après avoir transporté son personnage des comedy clubs de Californie à ceux de New York et effectué plusieurs tours du monde (Buffo est très populaire au Japon), Howard Buten retournera sur les bancs de l'université pour suivre un cursus de psychologie. " C'est ma rencontre avec un enfant autiste, Adam Shelton, qui m'a poussé à le faire, en m'incitant à chercher les moyens de comprendre les esprits humains qui ne fonctionnent pas comme les autres ", explique alors le clown, qui créera, en 1996, un centre d'accueil pour enfants frappés par ce syndrome.
Vies parallèles
Devenu psychologue clinicien, Howard Buten se tourne, dans le même temps, vers l'écriture. En 1981, il publie Quand j'avais 5 ans je m'ai tué. L'ouvrage, passé inaperçu aux États-Unis, est traduit en français par Jean-Pierre Carasso. C'est un succès tel que le comédien s'installe à Paris. Suivront quatre autres livres, dont Le Cœur sous un rouleau compresseur, Monsieur Butterfly et Quand est-ce qu'on arrive ? Des récits où le rire côtoie l'effroi. Comme dans Histoire de Rofo le clown : une histoire où un pitre de cirque tue son meilleur ami avant de sombrer dans une profonde dépression.
Malgré ces succès éditoriaux, Howard Buten ne tournera pourtant jamais le dos au personnage de Buffo, dont il endossera régulièrement le costume. Notamment dans un spectacle avec la violoncelliste et musicothérapeute Claire Oppert, qui tournera plusieurs années et sera récompensé en 1998 par un Molière au titre du meilleur one man show. Au début des années 2000, le " saltimbanque " – comme il aimait à se définir – s'était progressivement retiré de la scène. Vivant loin de Paris, dans une maison isolée en Bretagne, en compagnie de la veuve de Jean-Pierre Carasso, Howard Buten avait fini par ressembler au clown Buffo : mutique, contemplant le monde d'un air effaré depuis son fauteuil, comme coupé du monde…